Déserter, se retrouver, lutter, avec Vivi au pays des alternatives
Salut à toutes et tous, l’épisode d’aujourd’hui est un peu spécial puisque je le co-produits avec les Désert’heureuses.
Les Désert’heureuses, c’est un collectif qui appelle à un mouvement de désertion des ingénieurs et plus largement de désertion du monde de l’industrie du fait de son rôle central dans la destruction du vivant et l’exploitation de l’humain par l’humain. Je vous invite à suivre leur actualité sur leur site web.
Si les Désert’heureuses prônent la désertion, pour elleux, celle-ci est indissociable des luttes écologistes et sociales contre les capitalistes et industries qu’iels viennent précisément de quitter.
J’ai rencontré Vivi qui est membre de ce collectif. Dans cet épisode, je l’ai longuement écoutée sur son parcours => de sa jeunesse, en passant par sa vie d’ingénieure, sa désertion et enfin sa vie d’aujourd’hui autour de luttes politiques radicales, d’émancipation. Elle s’est exprimée avec beaucoup de spontanéité et de sincérité et je l’en remercie encore, sur des sujets personnels, et qui en même temps peuvent faire écho aux parcours de pas mal de personnes, je pense.
Cette sincérité, on la retrouve dans son livre, “Au pays des alternatives”, sous-titré “Récits d’initiatives écologiques et sociales”. Vivi y porte un discours très offensif et qui dépasse le cadre classique et étriqué de l’écologie. Si vous vous retrouvez de près ou de loin dans son parcours, je vous recommande son livre, il est très précis et documenté et en même temps facile d’accès. Il a été publié aux éditions tirages de têtes en mars 2022, avec une réédition en vue pour 2023.
Vous pouvez la suivre sur Instagram et sur Youtube pour voir ses reportages vidéo.
Je m’appelle Sam, je suis un mec cisgenre racisé, bienvenue à toutes et tous au numéro 13 de la rue des bons-enfants.
Pour télécharger l’épisode et l’écouter hors-ligne, c’est ici !
J’ai aujourd’hui le plaisir d’être avec Vivi pour un nouvel épisode, salut Vivi !
Salut !
On enregistre en plein chantier de la gare de Luméville, dans la Meuse : isolation, charpente, plancher, sanitaires, etc. C’est un lieu collectif et stratégique contre le projet d’enfouissement des déchets nucléaires à Bure, projet appelé Cigéo. Je te remercie d’avoir accepté mon invitation. C’est un épisode un peu spécial aujourd’hui, puisque je le co-produits avec les camarades du collectif les Désert’heureuses, qui porte une critique radicale du rôle des scientifiques, des technicien·nes, dans le désastre écologique en cours et dans la perpétuation d’un système de domination, de classes notamment. Quitter son boulot, sa vie d’ingénieur·e, pour des raisons disons politiques, au sens large, c’est un sujet dont tu vas nous parler. Est-ce que tu pourrais te présenter ?
Moi, je suis Vivi. Je suis connue sur les réseaux sociaux sous le nom de Vivi au pays des alternatives, comme média-activiste et militante pour une écologie radicale, donc une écologie qui soit féministe, anticapitaliste, anticlassiste. J’ai 31 ans. Aujourd’hui, au-delà du média-activisme, je m’investis quasiment à temps plein sur des lieux de lutte. À la fois pour y co-créer des possibilités de vie collective, et à la fois lutter contre des grands projets inutiles et imposés. Et j’ai déserté depuis trois ans mon métier d’ingénieure.
Alors la question de la désertion, on va y revenir dans un deuxième temps, et la question des luttes écologistes et sociales dans un troisième. Dans un premier temps, ce que je te propose, c’est qu’on tire le fil chronologique de ton parcours, et donc qu’on commence par ce qui t’a amenée à arriver en école d’ingénieurs, ce qui va concerner ton cadre familial, ta jeunesse. Est-ce que ta famille avait déjà fait des études ? Est-ce que tu penses que cela a influencé tes propres choix ? Si oui, comment ?
Alors… mon père est coiffeur. Il a quitté l’école après le brevet des collèges, je crois. Pour faire un CAP coiffure, une école de coiffure. Mon père est issu d’une famille qui a migré depuis l’Italie fasciste entre les deux guerres.
Ton grand-père ?
Mon arrière grand-père a migré d’Italie pour arriver dans la Meuse, là où on se trouve aujourd’hui. Donc mon grand-père est né en France, mais il y avait vraiment cet héritage que j’ai retrouvé chez mon père de… on est issus d’une immigration, on doit faire nos preuves. Aujourd’hui, on ne parle plus de l’identité, vraiment, est-ce qu’on est Français ou pas, il n’y a plus de débats là-dessus. Mais j’ai souvent entendu mon père parler de l’Italie et d’avoir cet héritage italien. Du coup, du côté de mon père, il y avait cet héritage un peu patriarcal de l’usine, mais plutôt la petite bourgeoisie issue de l’immigration… enfin, j’appelle ça “petite bourgeoisie” mais si ça se trouve, ça ne l’est pas vraiment. En gros, mon grand-père a monté une usine de mortadelle en Meuse. Il employait pas mal de personnes issues de l’ASE, après que ces personnes aient quitté l’ASE, l’Aide sociale à l’enfance. Donc il était reconnu un peu comme étant le bienfaiteur du village, parce qu’il employait des jeunes. Et en même temps, il a eu un peu d’argent, ce qui as permis à mon grand-père d’envoyer mon père à Paris pour qu’il puisse apprendre la coiffure. Et il lui a acheté un salon de coiffure à Paris. Donc mon père a toujours projeté sur moi l’idée que je puisse perpétuer cette élévation sociale. Donc mon père a toujours voulu… n’a pas forcément voulu que je fasse des études quand j’étais au collège et au lycée, mais il a été très fier que je devienne ingénieur, et il a eu beaucoup de mal à l’idée que je quitte ça.
Du côté de ma mère… ma mère a fait des études, mais quand elle a rencontré mon père, mon père travaillait, elle a pu nous élever et faire des études. Parce qu’avant, en fait, elle n’a pas eu son bac, elle était assistante de direction, puis elle était primeur légumes, elle a essayé d’être hôtesse de l’air, elle a fait plein de petits boulots. À trente ans, elle a rencontré mon père, ils m’ont eue, et en même temps, elle a pu passer son bac en candidate libre et faire des études de psychologie. Elle a eu un master aménagé parce qu’elle nous élevait avec mon frère. Donc elle a fait son master en près de dix ans plutôt que cinq ans. Après, elle a passé le concours de la fonction publique, donc elle est devenue fonctionnaire.
J’ai grandi dans ce truc un peu bizarre où on ne sait pas trop de quelle classe sociale on vient. J’ai grandi avec ça, et avec cette charge de devoir… (elle hésite) prendre la revanche, de devenir une véritable personne insérée, et indépendante. J’étais le premier enfant de mes parents. En fait, j’ai fait une école d’ingé par hasard. Parce que j’ai eu un collège et un lycée très difficiles, avec de très mauvaises notes. Et en fait, quand je suis arrivée au lycée, je suis arrivée par hasard en scientifique. Le conseil de classe n’avait pas accepté que je passe en scientifique. Mais ma mère a trouvé un lycée où il restait une place en scientifique. Du coup, j’ai fait une 1e S, alors que j’avais 5 de moyenne en maths. C’était vraiment n’importe quoi. En fait, mon voisin – on avait déménagé, j’ai beaucoup déménagé – était issu d’une famille bourgeoise, là pour le coup très bourgeoise, de parents ingénieur et médecin. Comme on faisait le chemin pour aller à l’école ensemble, enfin au lycée, on a eu une amitié très forte qui s’est construite, et j’ai pu bénéficier de… je dirais l’accompagnement éducatif de sa famille, qui m’a poussée à faire une classe prépa. Si je n’avais pas rencontré cette personne, je n’aurais jamais fait ça.
Tu as l’air de dire ça comme si c’était pour avoir les capacités, les notes, pour pouvoir accéder à une prépa, mais en termes d’envie, est-ce que tu te souviens pourquoi tu t’es lancée là-dedans ?
Oui, il y avait la question des capacités, des notes. Comme j’étais vue comme une enfant difficile, très rebelle, j’ai eu un rapport très conflictuel avec l’autorité très tôt, parce que j’ai subi beaucoup de violence sexiste, de la part des institutions, de mes camarades de classe, des familles de mes camarades de classe, de beaucoup de personnes. J’étais assez marginale, assez marginalisée. Je trainais avec beaucoup de personnes marginales, avec des vécus traumatiques dans les familles. J’avais pas spécialement envie d’être ingénieure, je voulais juste qu’on me lâche la grappe, en fait. J’avais juste envie qu’on me laisse tranquille, qu’on arrête de me considérer comme étant une personne… une personne bête, ou une personne qui ne vaut rien. J’avais envie que mes parents, aussi, me donnent un peu de liberté. Et en fait, je me suis aperçue qu’en ayant de meilleurs notes… en plus, ça me plaisait, j’ai appris à aimer les maths et la physique. En fait, j’étais reconnue par rapport à ça. En ayant des bonnes notes en maths, physique, chimie, sciences, mon entourage m’appréciait plus. J’étais reconnue, donc je me suis dit go. En fait, je me sentais intelligente, donc j’ai fait ça par besoin, parce que c’était ma façon d’être reconnue socialement. J’en avais pas trop d’autres, à ce moment-là.
Donc tu as fait une prépa scientifique avant d’intégrer une école d’ingénieurs ?
Oui, j’ai fait une prépa scientifique. J’ai fait trois ans. Déjà, là… enfin, j’avais déjà eu des désillusions par rapport au système, à ce que je vivais quand j’étais au collège et au lycée, mais déjà en prépa, il y a eu des choses très violentes qui se sont passées et qui ont fait ressentir qu’il y avait un truc qui clochait, en fait.
Dans le fonctionnement du lycée, de la classe ?
Ouais. Déjà, j’ai ressenti très fort la question de la compétition. Il n’y avait pas trop d’entraide dans ma classe. Il y avait vraiment celles et ceux qui allaient être en classe étoilée, c’est-à-dire les meilleurs des prépas, et celles et ceux qui en faisaient pas partie. Donc moi, je voulais absolument en faire partie. J’ai eu beaucoup de mal ! Quand je suis passée en classe étoile, ça a été la dégringolade, et là, je me suis sentie complètement abandonnée et déclassée. Ça a été très difficile, parce que mon moment de gloire a duré peu de temps, entre la première, la terminale et la première année de prépa, où, enfin, j’avais la reconnaissance extérieure. Et, ça y est, je retombe dans les derniers de ma classe, et ça a été compliqué. Et aussi ce que les profs nous renvoyaient. Ils disaient qu’on était l’élite de la société alors qu’en fait, la façon dont on se comportait, les uns les autres, c’était vraiment malsain. Et donc se dire “mais attends, se comporter de façon malsaine, humainement, c’est ça faire partie de l’élite ?” C’est des valeurs élitistes hyper problématiques.
On a eu un camarade qui a mis fin à ses jours. Il n’y a eu aucune prise en charge psychologique, aucun temps d’écoute. On a continué les cours comme si de rien n’était, il n’y avait pas de prise en compte de notre fatigue, de notre épuisement physique, pas d’aménagement des horaires. Il y avait vraiment celles et ceux qui pouvaient aller à Centrale, Polytechnique, et celles et ceux qui avaient accès aux écoles de moindre rang. Ouais, je l’ai senti très fort. Par exemple, pendant un cours de maths, je me souviens, il y avait une prof qui ne voulait pas qu’on mange, qu’on boive, qu’on aille aux toilettes pendant les cours. On était vraiment déjà dans des privations et de l’obéissance que j’ai trouvé vraiment malsaines. C’est pour ça que quand j’ai dû choisir une école d’ingénieurs après une 5/2, j’ai choisi de prendre une école de fonctionnaires, parce que déjà, à ce moment-là, je me suis dit “je veux pas bosser pour le privé, c’est un monde de requins, je veux pas !” Donc j’ai choisi une école de fonctionnaires, à ce moment-là. Ça me permettait d’être payée pendant mes études. J’étais déjà boursière, j’avais déjà la CAF. Donc ma solution, c’était l’école de fonctionnaires. Comme ça je suis tranquille et indépendante à 21 ans.
Ce que tu me disais avant l’enregistrement, et que tu as un peu exposé ici, c’est que la critique que tu portais sur la classe prépa, c’était à la fois sur l’absence de soin, que cette question n’était pas évoquée, et aussi la question de l’élitisme, de compétition. Je crois que tu m’avais aussi parlé de systèmes de classes, qu’il y avait des différences entre les gens en fonction d’à quelles classes sociales ils appartiennent. As-tu vu ça en prépa ou plutôt en école d’ingé ? Je ne suis pas sûr d’avoir bien compris.
Pendant ma prépa, les ami·es cher·es que j’ai eus étaient des personnes pour qui la prépa et l’école d’ingénieurs étaient un moyen de s’arracher à des classes plutôt populaires. Ce qui était difficile, c’est qu’il y avait énormément d’enjeu, pour nous, en fait, à réussir. Si on ne réussissait pas, on était renvoyé·es au milieu d’où on venait. Je voyais la souffrance psychologique que ça impliquait, d’avoir une mauvaise note ou pas. Et j’ai vu aussi, c’était surtout entre meufs, la façon dont les mecs autour de nous, de notre classe, étaient de milieu bourgeois. Et eux avaient beaucoup plus de légèreté à réussir, plus de moyens. Et donc la façon aussi dont on essayait de s’agripper à ces mecs pour s’élever socialement. C’est hyper malsain comme truc, mais c’était un peu notre seule possibilité à ce moment-là de s’échapper, de porter les intentions familiales. Après, comme j’ai intégré une école en génie urbain, de fonctionnaires, j’avais plus de personnes qui venaient de l’université, donc je n’ai pas trop ressenti ces problématiques. C’est-à-dire que j’évoluais quand même avec des personnes qui avaient des parents qui vivaient en banlieue, qui n’avaient pas fait d’études, en école d’ingé. Mais il y avait toustes cette intention de s’élever socialement. Il faut qu’on réussisse via l’école d’ingé pour avoir une place dans la société.
Est-ce que tu te souviens, que ce soit au moment de la prépa ou en école d’ingénieurs, de la finalité du métier ? Que tu allais être formée pour devenir ingénieure, est-ce que tu savais ce que ça voulait dire ? À quoi servait, quel était le but de l’ingénieur, au moment de ta formation ?
(elle réfléchit) Je n’ai plus trop le souvenir de ce que je savais du métier d’ingénieur quand j’étais en prépa ou en école. Je me souviens que pour choisir mon école, j’avais contacté des ingénieur·es pour leur demander ce qu’iels faisaient. Savoir combien elles étaient payées, et combien d’heures par semaine elles travaillaient. Et clairement, ça m’avait horrifiée, en fait. J’avais trouvé ça nul. J’avais contacté aussi des meufs, et c’est vrai qu’il y avait une personne, ça faisait dix ans qu’elle bossait, elle travaillait genre cinquante heures par semaine. Elle travaillait dans un truc de voitures, je crois, elle s’occupait de la gestion des pièces, je me souviens plus exactement quoi. Mais j’étais horrifiée par l’ancienneté, autant d’étude, le temps de travail, pour un salaire que je ne trouvais pas mirobolant par rapport à tout ça, tout ce qui était un peu promis. On nous faisait miroiter beaucoup de choses, c’était un peu la carotte, on avait envie de gagner beaucoup, parce que c’était ça, le modèle de réussite. Je savais, oui, que le métier de l’ingénieur, c’était de faire de la technique, donc de concevoir des choses. Quand j’étais à l’école, clairement, on apprenait à organiser la ville, dans tout ce qui était compétences de transport, d’eau, de bâtiments, de déchets. Donc marchés publics, tout ça. Je me souviens que ma mère m’avait dit “Ah Vivi, fais ces études-là, parce qu’on va te dérouler le tapis rouge, après”. Il y avait vraiment ce truc d’élite, quoi. Un peu comme si on était les élu·es. Comme s’il y avait quelque chose qui, en plus, nourrit quelque chose de très classiste, de naturel. Comme si c’est nous qui étions choisi·es pour réaliser quelque chose de grand. Ça rappelle vraiment un imaginaire un peu colonial, quoi : nous, on est les personnes sachantes, et les autres, on les administre. Il y avait vraiment ce truc-là… et aussi d’apprendre à aimer ça. Enfin, c’est même pas apprendre à aimer ça, c’est… ne pas questionner ça : c’est naturel, c’est normal, c’est okay. Donc après, il en découle plein d’envies de carrière, de se sentir légitime à être à des postes de pouvoir.
Par contre, j’ai eu une grosse désillusion quand j’ai commencé mon taf après l’école.
C’est ce que je voulais te demander : dans quoi tu as commencé à travailler ?
Comme j’étais fonctionnaire, en fonction de mon classement à l’école, j’accédais à un poste dans la collectivité territoriale où j’allais travailler. En fait, je n’étais pas bien classée. Déjà, là, à l’école, il y avait des injustices qui m’ont rendue assez ouf. Que j’ai voulu dénoncer. Déjà, des profs sexistes, où je partais de cours, où je gueulais, et il n’y avait rien qui changeait, on me prenait pour une sorcière, quoi. Quand j’étais à l’école, c’était entre 2012 et 2015, c’est pas la même période que maintenant, où les questions féministes étaient beaucoup moins rendues publiques. Et on avait aussi des injustices par rapport aux notes qu’on recevait en fonction des projets dans lesquels on s’impliquait à l’école. Par exemple, il y avait des projets qui étaient bien plus valorisés que d’autres, alors qu’ils nécessitaient moins de travail, mais plus de visibilité. Vraiment, déjà, des injustices qui sont typiques, caractéristiques du monde du travail. Donc j’avais dénoncé ça, en disant que c’était dégueulasse. On m’avait répondu “On vous habitue au monde du travail. Acceptez-le, c’est le monde du travail”. J’avais trouvé ça complètement absurde de se dire “okay, la situation est merdique, mais c’est comme ça, il faut que tu t’habitues”. Il n’y avait aucune intention de révolutionner un peu le truc : “oui, la situation est merdique, on va essayer de changer ça”. Ah non, non, on s’y soumet.
Donc quand j’ai eu la liste de postes, et mon classement, et que j’ai vu le poste auquel j’étais affectée, qui ne correspondait pas du tout à tout le savoir-faire que j’avais appris, aux six ans d’études que j’avais faite, où j’avais beaucoup travaillé, et au final, je faisais de l’administratif. Des marchés publics. Il y a eu une grosse désillusion où je me suis dit “j’ai fait tout ça pour ça ? C’est vraiment du foutage de gueule”. J’ai remis ça en question dans la collectivité où je suis arrivée, où je leur ai dit “Il est hors de question que je reste plus d’un an chez vous. Je veux me barrer”. Là, j’ai commencé à me syndiquer, parce qu’ils ne voulaient pas me laisser partir, ils voulaient m’obliger à travailler à leur poste de merde. Ça a été un peu ça, le début de la désillusion sur mon premier poste. Après, mon dernier poste avant la désertion, je voulais travailler sur un poste à portée environnementale, dans la gestion des déchets. J’étais trop contente, au début. En plus, c’était un service assez prestigieux, dans la collectivité dans laquelle j’étais, où je pouvais collaborer avec plein de personnes hautes placées dans les institutions. Donc, je me disais en termes de carrière, c’est génial, je vais pouvoir progresser. Parce qu’il y a aussi cette compétition entre les personnes qui sortent de promo : on continue à se suivre et à savoir si l’élévation sociale est la même pour tout le monde ou s’il y en a qui dépasse les autres. C’était quelque chose d’assez lourd en moi. À chaque fois que j’y arrivais pas, je me disais “c’est parce qu’en fait, je ne suis pas vraiment une ingénieure. À la base, je suis une rebelle du collège”. Il y avait ce truc que je gardais. Quand j’ai commencé mon poste d’ingénieure plutôt à portée environnementale, dans la gestion des déchets, j’y croyais vraiment. Et après, ça a été de désillusions en désillusions, plutôt sur la façon dont l’État organise le fait qu’on aille dans le mur, quoi.
Quand tu dis que tu y croyais vraiment, tu veux dire du point de vue de l’impact environnemental du métier. Tu t’es dit que ce métier a aussi un sens sur les effets environnementaux, c’est ça ?
Ouais, j’étais persuadée… j’étais dans le tri des déchets, donc j’accompagnais les usagers à mieux trier leurs déchets, à leur donner les moyens de trier leurs déchets, à faire de la sensibilisation. L’objectif était d’augmenter la quantité et la qualité du tri. En fait, au fur et à mesure, je voyais à quel point ce n’était pas possible de l’améliorer considérablement, en quantité et en qualité. Parce que, derrière, il y avait des enjeux européens, nationaux, industriels, fiscaux, et des questions de débouchés du recyclage, de où va l’argent des subventions, comment l’argent circule entre les collectivités, les institutions semi-publiques et les industriels, comment ça circule via les marchés publics, enfin l’argent public qui circule des collectivités aux industriels via les marchés publics. En fait, je me suis aperçu que rien n’allait changer. Que ma seule force de frappe, entre guillemets, c’était soit j’attends quinze, vingt ans, et peut-être qu’un jour je pourrais dire à mon directeur – et il l’entendra – que c’est pas cool de faire ça, parce que quand je le faisais, je me faisais rigoler au nez. Ça pouvait me porter préjudice, en termes de carrière. Et j’ai vu même d’autres directeur·trices se faire virer de leur poste quand ils ouvraient trop leur bouche, en fait. Moi, ma seule force de frappe, c’était être sympa avec mes alternants, mes apprentis, quoi. Et avec mon équipe, voilà. Être cool avec mon équipe, c’était la seule chose que je pouvais faire. C’est nul, en fait. Pour moi, ça n’avait aucun sens.
Est-ce que tu te souviens de rencontres particulières, d’histoires, d’anecdotes qui t’ont fait penser “c’est quand même bizarre ce qu’on est en train de faire” ou “c’est quand même chelou, ce milieu” ?
Y’en a eu plein. À plein d’échelles différentes. Ce qui était par exemple bizarre pour moi, c’était la façon dont je devais me grimer pour aller au travail. Esthétiquement. C’est-à-dire devoir correspondre à des codes esthétiques, de tenue, de coiffure, de chaussures, de posture. Comment je vais mouvoir mon corps. La discrétion, le vocabulaire que je vais avoir, de quoi je vais parler avec les gens. C’est épuisant, en fait, de devoir tout contrôler en permanence, d’apprendre des codes en permanence, qui sont des codes, en fait, hyper malsains et pas du tout spontanés.
Toute ma vie était organisée autour de mon travail : mon travail va déterminer l’emplacement géographique dans lequel je vais vivre. En fonction de mon salaire, ça va déterminer dans quoi je vais vivre, comment je vais pouvoir me chauffer, me nourrir. Mon travail va conditionner mes relations amoureuses, parce que c’est le temps que je vais avoir en dehors de mon travail, avec ce temps qui me reste que je vais pouvoir consacrer à mes relations amoureuses, amicales, enfin les relations humaines. Ça conditionnait tout ! Je trouvais ça absurde. J’ai jamais compris pourquoi ça devrait être comme ça, en fait. Aussi, pendant mes périodes de congés, j’étais tout le temps en train de penser à la reprise. Donc j’avais jamais la possibilité d’incarner le moment off. La façon dont ça façonne les désirs et les projets de vie. Mes projets de vie, c’était faire carrière. Et autour de moi aussi. En fait, c’est une culture collective, où, avec mes amis, quand on se retrouvait, on parlait surtout du taf, de la carrière. C’est un détail, mais c’est aussi la façon dont les gens vont se parler au travail, avec des trucs méga sexistes, des fois. Ah, je me souviens… j’ai assisté à des discussions hyper classistes envers les éboueurs, envers les personnes qui sont dans les centres de tri et qui trient les déchets.
Et qui à ce moment-là travaillaient pour vous, ou en lien avec vous ? C’était en rapport avec le boulot, quoi ?
Moi, j’étais au bureau, chez les ingénieurs qui vont organiser le travail et les directives des personnes qui sont sur le terrain. Oui, dans le cadre de mon travail, j’ai assisté à ça. Et aussi, par exemple, quand le préfet de police décidait qu’il fallait évacuer des migrants, c’était pas moi, mais dans mon service, on envoyait des éboueurs jeter les affaires des personnes migrantes, et on y allait en combinaison intégrale pour ne pas s’infecter. C’est horrible ! C’est hyper malsain. Tout ça se passe sous mon nez, au quotidien. Je bossais environ 45 h par semaine, donc tout le temps. Et puis à qui va être le plus présent, qui va faire le meilleur travail, qui va avoir la reconnaissance hiérarchique, il y avait beaucoup de ça.
Je ne parle même pas du fond de sujet, c’est-à-dire mon métier en tant qu’ingénieure environnement. Je parle juste du travail, en fait. Après, d’un point de vue environnemental, c’est assez long, mais le monde de la gestion, du tri des déchets n’a pas vocation à améliorer quelque chose d’un point de vue environnemental. Le système est tellement lourd pour pouvoir recycler, trier les déchets, qu’en fait, on produit quasiment… après, je n’ai pas de chiffres, j’ai eu beaucoup de mal à trouver d’études là-dessus, j’en ai jamais trouvé, mais l’énergie grise, toute l’énergie nécessaire, le bilan carbone, impact social, biodiversité, environnemental, je ne suis même pas sûre qu’il soit positif. Parce qu’il faut tellement… il y a un système industriel tellement énorme pour organiser la gestion des déchets que ce qu’on économise en ressources, en matériaux, en énergie, en empreinte carbone en recyclant les déchets, je ne suis pas sûre qu’il soit… il est dépensé en gérant tout ça. Je ne sais pas si je suis claire, par rapport à la collecte, concevoir les poubelles, transporter les déchets, faire des usines de traitement. C’est un truc industriel, quoi.
Je ne suis pas sûr d’avoir compris… est-ce que tu penses que si on avait un fonctionnement complètement linéaire sur la gestion des déchets, plutôt qu’essayer d’avoir un fonctionnement, aujourd’hui, plus ou moins circulaire, avec une partie de recyclage, le fonctionnement linéaire serait, limite, moins dégueulasse ?
Linéaire, c’est-à-dire ? Juste ordures ménagères ?
Je veux dire : on produit, on consomme, on jette. On reproduit, on consomme, on jette.
Non, je ne dis pas ça… en fait, je n’ai jamais réussi à trouver d’études là-dessus. C’est vraiment trop bizarre, j’en ai demandé beaucoup, j’ai recherché pendant que j’étais au taf, parce que c’était quelque chose qui m’intriguait. Est-ce qu’on fait tout ça par but environnemental ? Est-ce que réellement ça a un impact environnemental, tout ce qu’on fait ? C’était très flou, à chaque fois y’a plein de facteurs qui ne sont pas dedans. J’ai pas la réponse à ça.
Par contre, la certitude, c’est qu’il n’y a pas d’intention réelle de réduire les déchets. Parce que le déchet est un business. Pour moi, le tri et le recyclage, c’est un pansement. Parce que si on réduit trop les déchets, il n’y a plus d’entreprises de collecte, il n’y a plus d’entreprises qui va créer les poubelles, il n’y a plus d’entreprises de recyclage.
Là, tu parles de géants comme Veolia et Suez, en fait.
Ouais, par exemple. C’est du pain béni. Quand on dit “oui, triez plus de bouteilles plastiques”. Pour trier plus de bouteilles plastiques, il suffit qu’on mette plus de bouteilles plastiques sur le marché. On faisait des communications un peu comme ça : “oui, cette année on a trié plus de bouteilles plastiques”. Ouais mais en fait, c’est juste qu’il y a eu plus de bouteilles plastiques sur le marché, dans les poubelles, donc c’est normal qu’on en triait plus, ça n’a pas de sens. Alors, tout n’est pas comme ça, tout n’est pas de la désinformation, mais c’était plutôt la façon dont, aujourd’hui… ce qui m’a le plus marqué, c’est que les industriels de l’emballage paie une taxe pour participer au traitement des emballages qu’iels mettent sur le marché. Cette taxe est donnée à un éco-organisme, et cet éco-organisme va redistribuer cet argent aux collectivités. Sauf qu’en fait, déjà, cet éco-organisme, plus les emballages sont délétères, ont une mauvaise recyclabilité, plus la taxe donnée à l’éco-organisme va être importante. C’est-à-dire que plus tu produits un déchet qui n’est pas recyclable, plus tu vas payer une taxe importante à l’éco-organisme. Ce qui paraît logique. Donc, en fait, c’est intéressant d’avoir des déchets qui ont une mauvaise recyclabilité. Investir de l’argent dans la recyclabilité des produits, du genre études et recherche… je sais plus exactement quels sont les bons mots, ça fait trois ans que je suis partie, je commence à oublier. Par exemple, c’est intéressant d’investir dans le pôle recherche de l’entreprise, c’est des exonérations fiscales, c’est de l’argent en moins pour l’éco-organisme, aux collectivités, si tu investis dans le pôle recherche de ton entreprise. Des fois, c’est du bullshit, ta recherche. C’est juste pour le plaisir de rechercher des trucs, quoi, ça ne sert pas à grand-chose. Les objets de recherche sur la recyclabilité des produits étaient hallucinants, quoi. On est en urgence environnementale et sociale, et l’argent ne doit pas aller là ! C’est vraiment ce truc d’où va l’argent nécessaire, qui doit aller aux collectivités. L’argent qui nous était dû de la part de l’éco-organisme, donc l’argent des industriels, donc l’argent des citoyens, du public, nous revenait sous conditions, aux collectivités, imposées par l’État, par l’éco-organisme, par l’Union européenne. Ces conditions, on n’était pas maîtres de les choisir. C’était imposé. Ça nous obligeait à mettre en place des projets de gestion des déchets dans notre collectivité qui n’étaient pas forcément adaptés aux besoins. Mais ça mettait en valeur la collectivité, telle ou telle entreprise. Et du coup, aussi, quand on mettait en place des projets, via des marchés publics, on redonnait cet argent à des industriels. On retrouvait les mastodontes du côté des industriels qui mettaient sur le marché des emballages, et ceux qui allaient avoir l’argent public pour faire de la collecte, pour créer des poubelles… Donc en fait, l’argent transite par les collectivités mais c’est toujours les industriels qui l’ont, quoi. Je sais pas si c’est hyper clair, mais…
Si, si, c’est clair.
C’est un peu une hérésie. Il y a quand même pas mal de ressources sur Internet, notamment avec le communiqué de la Boucle Verte, qui est une ex-startup de l’économie circulaire, qui avait dénoncé ça, cette grosse magouille.
J’ai l’impression que finalement les pouvoirs publics, dans ce secteur, sont là pour accompagner le développement économique des boîtes et faciliter le fait de produire.
Complètement. C’est ça aussi qui m’a bouleversée : j’avais choisi d’être fonctionnaire et de travailler dans l’environnement, parce que je savais déjà que c’était la merde. Et que je ne voulais pas travailler pour des entreprises privées et dans un secteur autre qu’environnemental. Je me suis aperçue que par mes missions quotidiennes, en tant qu’ingénieure, j’alimentais le greenwashing, j’alimentais ce système de transmission du capital économique. L’État est juste une passerelle de flux financiers, accompagne les flux financiers d’entreprise en entreprise, de mastodonte en mastodonte. C’est pas des petites entreprises, c’est très rare. C’est vrai que je me suis dit à ce moment “Attends, qu’est-ce que je peux faire de plus, en fait ? Je suis ingénieure en environnement pour l’État, la fonction publique”. J’avais pas de solution. C’est pour ça que j’ai décidé de partir.
Tout à l’heure, tu disais que pour aller au boulot, tu avais besoin de te grimer, te déguiser. Est-ce que tu as eu, pendant un temps, un genre de double vie ? Une vie dans ton boulot, avec certains proches, et puis une autre, où tu as commencé à creuser dans d’autres univers, d’autres milieux ?
(elle réfléchit) Ce concept de double vie me parle beaucoup, parce que j’avais vraiment l’impression d’être dans le mensonge en permanence, entre mes convictions… Alors, j’étais plus dans la théorie qu’autre chose : je lisais beaucoup, j’allais à beaucoup de conférences, de débats. J’avais pas forcément de réseaux, mes potes étaient pas du tout là-dedans, donc j’étais assez seule. Je n’allais pas forcément dans des assos parce que j’étais crevée, en fait. J’avais vraiment l’impression que, quand je suis au taf, je suis une certaine personne, et je dois tenir… comme au théâtre, quoi. Le soir, j’étais épuisée, ça me mettait vachement en tension. Ça me transformait, c’était pas évident. J’avais vraiment ce sentiment de devoir cacher qui j’étais vraiment au travail, quoi. Et d’avoir cette double vie là. Par contre, je ne me suis jamais autorisée, la dissonnance était trop grande, je ne me suis pas autorisée à vraiment militer activement avant de quitter mon travail. Parce qu’en fait, comme j’étais fonctionnaire aussi, et que je travaillais avec des éboueurs, les agents de la collectivité où j’étais sont partout sur le terrain. Donc j’avais trop peur de faire des actions et d’être vue sur le terrain par les mêmes personnes avec qui je travaille et que je suis censée diriger, quoi. Donc je ne le faisais pas.
Comment as-tu quitté ton boulot ? Qu’est-ce qui a déclenché ça ?
Quand j’étais en école d’ingé, j’ai eu la chance de pouvoir faire un échange universitaire à l’étranger. J’en ai fait deux. Dans le premier, j’étais à l’université à Rio de Janeiro, pendant six mois. C’était déjà une forme de désertion, en fait. Je me barrais déjà un peu de l’école d’ingé. Parce qu’en réalité, on n’avait vraiment pas beaucoup de cours. J’ai rencontré énormément de personnes qui ne bossaient pas. Enfin, “qui ne bossaient pas”, qui n’avaient pas un métro-boulot-dodo et, par exemple, qui vivaient sur un voilier, et qui voyageaient en voilier. Et c’était leur vie, quoi. Qui gagnaient très peu d’argent, qui faisaient des petits boulots, qui vendaient des trucs sur le marché, des métiers manuels. Et ces personnes étaient heureuses.
Après être revenue du Brésil, mon père voulait absolument que je fasse un stage en entreprise, parce que j’allais dans la fonction publique après. Donc je suis allée faire un stage là-bas, à Londres, là aussi, ç’a été l’horreur, quoi : open space, chantier de construction, que des mecs, des personnes qui exercent beaucoup de pouvoir sur. J’ai enchainé les deux, Brésil puis Londres, deux salles, deux ambiances. Je savais ce que je voulais, en fait. C’était dit. J’avais en souvenir ça, et donc je m’étais promis de partir avant trente ans, parce que je savais qu’après, ça allait être très compliqué de partir. Parce qu’on est pris dans le tourbillon, quoi.
Il y a un engrenage financier, des achats, par exemple, quand tu parles de tourbillon, c’est ça que tu veux dire ?
Le tourbillon, c’est plus de commencer à adopter des codes, et le raisonnement, et le confort, aussi, et le pouvoir. Le pouvoir sur. Parce que dans les carrières d’ingénieur, c’est pas juste on conçoit des projets. C’est aussi adopter une vision du monde où on exerce du pouvoir sur les autres personnes. Que ce soit matériel, culturel, économique. Je ne sais pas si je peux dire qu’on y prend goût, mais je ne vois pas comment on peut continuer en tant qu’ingénieur·e et échapper à ça. Je voyais que je pouvais m’enfermer vite là-dedans. Parce qu’en fait, on me proposait un autre poste avec plus de responsabilités, mieux payé, tout ça. Je savais que ça allait me donner plus de pouvoir, que j’allais avoir plus de mal à m’en dépêtrer. Donc je me suis dit “il faut que je me barre, parce que là, sinon, je ne vais jamais en sortir. Je vais devenir une prédatrice en col blanc.”
Est-ce que tu veux nous dire comment ça a été sur le plan émotionnel ? Finalement, il y a eu un avant et un après ? Tu as eu l’impression que cela a été brutal ?
Oui, ça a été brutal, parce que j’ai vraiment voulu faire les choses bien quand je suis partie : j’avais fait un pot de départ, j’avais invité beaucoup de personnes avec qui je bossais, notamment de l’équipe terrain aussi. C’était important pour moi aussi de… ce que je critique, c’est quand même un système, c’était pas forcément les personnes avec qui je travaillais au quotidien. J’avais aussi, je pense, cette injonction à ne pas trop faire de vagues. J’avais très peur que ça puisse me retomber dessus. En fait, ouais, ça a été compliqué parce que je me suis sentie tout de suite déclassée. J’ai senti la puissance du système, parce que je me suis sentie comme une merde. J’avais l’impression d’être nulle. Je me suis rendue compte à quel point je me définissais par mon travail, quoi, et par mon statut social. Parce qu’en le quittant, j’avais l’impression de ne plus rien valoir. Donc j’ai mis du temps à, aussi, savoir qui j’étais en dehors de mon travail. Savoir qui j’étais en dehors d’un diplôme. C’est pas juste un diplôme : on ne dit pas “je travaille dans l’ingénierie”, on dit “je suis ingénieure”. C’est pas du tout la même chose en termes d’identité. Ça m’a pris du temps de déconstruire ça, de me re-aimer, même en n’étant pas quelqu’un dans la société capitaliste et libérale. Ça a mis du temps.
Est-ce que tu penses que c’est aussi lié à la façon dont ça a été perçu par ton entourage ? À ce qu’on disait au début, la question de la famille, peut-être ? Je ne sais pas si tu veux nous parler de ça.
Du côté de mon père, ça a été compliqué. Je l’ai senti vraiment désemparé. J’ai senti une peur de sa part que… Il m’a dit “ah mais tu vas finir à la rue, en fait”. Mais en me disant “c’est de ta faute, c’est toi qui as choisi”. C’était vraiment violent, quoi : “tu peux être ingénieure et rien d’autre, ma fille”. C’était dur. Qu’est-ce que le système aussi nous fait, dans nos relations intrafamiliales ? C’est vraiment le fruit d’un discours qu’un père peut dire à sa fille. Ça vient se jouer vraiment dans l’intime.
Après, ma mère m’a toujours soutenue. Elle m’a soutenue matériellement, c’est-à-dire que je pouvais aller dormir dans son salon entre deux vadrouilles. C’est quand même très précieux, même si c’était pas hyper confortable, le fait d’être dans son salon. C’est vrai que je n’ai pas la chance comme d’autres personnes que j’ai vues dans les schémas de désertion qui peuvent rentrer chez leurs parents qui ne sont pas divorcés, qui ont une grande maison, avec une chambre. C’est pas la même chose que de rentrer en banlieue dans le salon de sa mère.
Après, par contre, ce qui a été compliqué, c’est plutôt de la part de mes anciens camarades d’école, avec qui ça a été violent parce que je ne me suis pas sentie soutenue. Et surtout, il y en a beaucoup qui ont arrêté de me parler. Après, je pense que c’est aussi parce que ce que je leur renvoyais était insupportable. En gros, je leur disais, à mes potes qui travaillaient chez Vinci et Colas… enfin, je ne leur disais pas directement, mais par exemple, je faisais un reportage contre un grand projet inutile et imposé par Vinci. Et je dénonçais ça dans le reportage vidéo que je faisais. Indirectement, mes potes le voyaient alors qu’iels travaillaient dans ces boîtes-là. Des fois, il y en a qui m’ont dit “tu crois que tu es une meilleure personne parce que tu arrêtes de bosser comme ingénieure alors que nous, on continue ? C’est abusé. On n’a plus envie d’échanger avec toi”. Ça, ça a été compliqué, ouais.
Je crois que, dans ton livre, tu disais qu’au début, tu pensais que le processus de désertion était réversible. Je crois qu’après, tu disais que finalement, tu avais changé d’avis ?
Ouais, j’ai changé d’avis. Après, je pense que ce n’est pas la même chose pour tout le monde : il n’y a pas un schéma de désertion, et il est vraiment propre à notre parcours émotionnel, relationnel, quel amour nous ont porté nos parents, quel est le confort économique, est-ce qu’on a beaucoup de potes, est-ce qu’on déserte avec nos potes ou pas. Je trouve que c’est irréversible au sens où je sais qu’aujourd’hui, j’ai perdu énormément de codes du milieu de l’ingénierie. Et que si je veux y retourner, ça va me demander beaucoup de travail de réintégration des codes. Et j’ai perdu des choses. Clairement, j’ai perdu de l’avancement de carrière. Maintenant, ça fait trois ans. En trois ans, mes anciens camarades, si j’y retourne maintenant, seraient mes supérieurs. C’est plutôt dans le devenir, à quoi je parviens ou pas. C’est-à-dire que ma vie ne sera pas la même parce que je ne vais pas avoir un niveau de vie confortable. Je trouve que la carrière dans l’ingénierie se construit sur le long terme. Du coup, comme j’ai raté des marches, c’est en ça qu’il y a quelque chose d’irréversible là-dedans. Après, je bénéficie d’un diplôme à vie, et du statut de fonctionnaire, qui fait que je peux retrouver un travail dans la fonction publique assez facilement.
Mais il y a aussi, depuis trois ans, j’ai vécu trop de choses, en fait. Je ne peux pas les oublier.
Qui t’ont transformée.
Ouais, ça m’a transformée politiquement, en fait. Je crois que j’arriverais moins à… je serais moins bonne au théâtre. Peut-être que je serais plus frontale, mais ça va me desservir, ça va me mettre en difficulté. Ce serait compliqué si j’y retournais. Et je pense que j’aurais l’impression de trahir les copaines.
Les années que tu as passées après avoir quitté ton dernier boulot, tu les as en partie racontées dans un livre, “Au pays des alternatives”, sous-titré “Récits d’initiatives écologiques et sociales”, aux éditions tirages de têtes et sorti en mars 2022, où tu racontes différentes initiatives à travers le pays, ce qui les lie, quels messages politiques sont portés, et ce que ça a provoqué en toi. Ça a l’air mais c’est pas si facile à résumer. C’était quoi pour toi l’intention, quand tu as écrit ce livre ?
En fait, j’avais plein d’intentions en écrivant ce livre. Déjà, je sais qu’il y a plein de personnes comme moi, en fait : dans des parcours de désertion, et je sais qu’il y a plein d’autres personnes qui sont dans un effondrement psychologique par rapport aux effondrements actuels. Et par rapport à l’absurdité et la violence du système. Je trouvais que c’était important, aussi, qu’il y ait un témoignage de ça. De ce truc de vouloir remettre en question un modèle, un moule, et comment on s’extirpe de ça. Un peu quel est le parcours qu’on peut faire. C’est pas un modèle, c’est pas “quel parcours on peut faire” mais moi, quel parcours j’ai fait. Je parle de moi dans ce livre mais surtout des alternatives. Parce que c’était aussi pour montrer que le monde des alternatives n’est pas du tout homogène. Ça, je ne le savais pas. Politiquement, j’avais une pensée assez élaborée parce que j’avais beaucoup lu, beaucoup écouté de podcasts, beaucoup creusé la théorie. Mais en pratique, j’avais vraiment très peu de connaissances. Donc mes premières pérégrinations, j’étais déboussolée par les différentes alternatives que je découvrais. Certaines étaient vraiment… enfin, on fait de la pédagogie sur la permaculture, mais il n’y a pas vraiment de politique derrière. Enfin quand je dis “il n’y a pas vraiment de politique”, il n’y a pas un concept d’écologie radicale, c’est-à-dire qui prend en compte les questions de classes, de races, de genres, dans la façon de mettre en pratique son alternative. D’autres qui le faisaient, qui prenaient ça en compte. En fait, je crois que j’aurais bien aimé le savoir avant. Peut-être que j’aurais eu un parcours plus direct sur qu’est-ce qui m’intéresse vraiment aujourd’hui.
J’avais aussi envie de partager, d’écrire noir sur blanc les questionnements par lesquels je suis passée, parce que je sais qu’il y en a plein d’autres qui passent par les mêmes. En fait, j’ai pris conscience au fur et à mesure, dans mon parcours de désertion et au pays des alternatives, que c’était hyper lambda, ce que je vivais, hyper commun. J’avais l’impression d’être toute seule dans mon coin, en PLS émotionnelle, et que j’errais. En fait, je me suis aperçue qu’il y avait plein d’autres personnes qui faisaient ça, et que tout ce que je ressentais, il y avait plein de personnes qui le ressentaient aussi. J’avais l’impression en faisant ce livre que… quelqu’un d’autre aurait pu mettre son nom, et pas l’écrire à ma place, mais, en changeant quelques trucs, ça pourrait être la vie d’une autre personne, quoi.
J’avais envie que ça existe, que d’autres personnes, aussi un peu moins engagées puissent le lire et se dire “ah ouais, c’est ça que certaines personnes vivent”. Par exemple, ma mère m’envoie des messages parce qu’elle est en train de lire le livre et me dit “Ah mais je comprends mieux. Je suis fière de toi, je comprends mieux tes engagements”. En plus, elle me dit pas “je comprends mieux tes engagements”, à chaque fois, elle dit “je comprends mieux vos engagements”. Elle parle toujours en “vous” quand elle parle de ce qui est écrit dans le livre : “vous pouvez être fiers”, “vous êtes dans le droit chemin ou dans le juste”. Je trouve que c’est hyper touchant. J’ai l’impression que c’est un peu le témoignage d’une certaine communauté, et c’est ça qui était important : nous rendre un peu honneur par rapport à tout ce qu’on traverse. Et de rendre honneur aux alternatives qui existent et qui des fois restent dans l’ombre. Et aussi faire ce maillage entre plein de trucs qui sont différents, et de rendre compte des questions qui se posent. Et aujourd’hui, il y a pas mal de documentation qui existe sur les alternatives et les luttes en général mais je trouve qu’il n’y en a jamais assez. C’est important de documenter parce que c’est vraiment des terrains expérimentaux, en fait. On est vraiment dans l’expérimentation. Moi, c’est ça qui me passionne aujourd’hui, c’est de créer de l’archive, de la documentation, de garder un témoignage de tout ce qui se passe.
Je ne t’ai pas fait beaucoup développer, ce que tu as vu, ton parcours. Est-ce que tu as envie de dire quelque chose de plus sur ce sujet, sur ton après-désertion. Peut-être dire ce que tu as fait ?
J’ai voyagé avec mon sac à dos en France. J’ai passé environ 2-3 semaines dans différents lieux. Au début, je ne connaissais vraiment rien, donc je passais par les sites de Wwoofing. J’ai découvert des espaces pédagogiques en permaculture, j’ai fait un peu de volontariat dans une association paysanne, je suis allée au camp climat organisé par Alternatiba, les Amis de la Terre, ANV-COP21, j’ai fait des chantiers de yourtes. Et j’ai découvert aussi le collectif la Bascule. À ce moment-là, ça m’a fait beaucoup de bien de retrouver des personnes un peu de mon milieu, on va dire, qui avaient un engagement politique. C’est vraiment les questions politiques, pas forcément politique institutionnelle ; eux sont plus dans la politique institutionnelle, mais en fait ça m’a fait du bien de retrouver ces discussions-là, j’ai compris à ce moment-là que j’avais vraiment besoin de ça dans les milieux dans lesquels j’évoluais.
Ensuite, j’ai un peu évolué aussi dans des structures qui proposaient de l’éco-tourisme. Là aussi j’ai commencé à être un peu dérangée par l’écologie individuelle. Pour moi, partir de la ville, acheter un terrain, une maison et mettre des tiny, des habitats légers et faire de l’éco-tourisme, pour moi c’est de l’écologie individuelle. C’est-à-dire que tu te sauves juste toi-même et tu gardes ta classe sociale, ton capital économique, social, culturel. Et en fait, pour moi, c’est pas intéressant. C’est mieux de faire ça que de travailler chez Total, mais je ne trouve pas que ça amène à une émancipation collective et une remise en question des systèmes de classes. Là, ça a commencé à me questionner. Parce qu’avant, je pensais vraiment que toutes les alternatives étaient au top. Je ne pensais vraiment pas que certaines alternatives rejouaient des problèmes de rapports de classes. Du coup, comme j’ai trainé un peu avec la Bascule, je me suis intéressée à la politique institutionnelle, donc la Convention citoyenne pour le climat. Je suis partie aussi à Bruxelles pour voir un peu ce qu’il se passait au niveau de la politique européenne. Il y a eu le confinement. Après le confinement, j’ai voulu m’intégrer plus dans des actions de désobéissance civile, avec XR.
Extinction Rebellion.
Avec Extinction Rebellion. En fait, j’ai voulu vraiment être plus impliquée dans l’activisme. Je suis par exemple partie en Allemagne faire des actions avec Ende Gelände, dans les mines de charbon. J’ai fait plein de petites actions, grosses actions de désobéissance civile. En fait, c’est quelque chose qui me parlait vraiment, mais j’avais un peu du mal sur… (elle réfléchit) le pacifisme de certaines actions alors que la colère en moi était grandissante. Et que la situation pour moi est tellement violente déjà. J’avais besoin d’être plus frontale. Et j’avais aussi besoin de voir des milieux plus radicaux, parce que dans tous ces milieux-là, on ne questionnait pas suffisamment les rapports de classes, de genres, de races – mais même, c’est très peu questionné de manière générale – donc j’ai voulu me rapprocher de milieux un peu plus anarchistes, plus radicaux, plus anticapitalistes. Donc pas forcément dans des endroits précis, mais plus avec des personnes, plus une dynamique, des moments de retrouvailles, des façons de faire des actions. Et des actions aussi de penser le collectif. Aujourd’hui, ouais, je dirais maintenant que c’est les milieux un peu plus autonomes dans lesquels j’ai envie de m’investir. Mais je suis revenue un peu de ça au sens où je sens, des fois, une pureté militante qui est anxiogène et contre-productive. On reparle de la productivité, mais des fois, je trouve que ça casse des dynamiques, et en fait, ça crée quelque chose de très obscur, jugeant, autoritaire. Donc là, ma question, c’est comment ne pas rejouer de l’autoritarisme dans les milieux autonomes.
Tu me disais avant l’enregistrement dans ton milieu professionnel qu’il y avait beaucoup cette logique d’avoir soi-même comme projet, donc un projet professionnel, et que tu avais l’impression que dans “le pays des alternatives”, il pouvait aussi y avoir ce problème-là, d’injonction à devoir se réaliser soi-même par le biais de faire des choses, de produire des choses, de se rendre utile. Est-ce que tu peux expliciter cette idée ?
C’est vrai qu’aujourd’hui, ça m’amuse et en même temps, ça me désole et j’ai de l’empathie quand je vois, par exemple, passer des publicités ou des annonces pour changer de métier et avoir un métier à impact. Ou avoir un travail durable. Il y a une demande aussi, de beaucoup de personnes qui sont dans un métier de merde, qui n’a pas de sens, qui est délétère, qui a un sens mortifère, que ce soit pour soi ou le reste de la société, et qui disent “bon, qu’est-ce que je peux faire ? Quel métier à impact je peux avoir ?” En fait, c’est compliqué parce que ça vient poser la question du sens de la vie : qu’est-ce qui nous rend heureux ? Qu’est-ce qui nous met en joie ? C’est vraiment un exercice difficile, pour moi, je trouve, de savoir ce qui nous met en joie, par exemple, ce qui nous rend heureux. Ce qui va rendre heureux certaines personnes, c’est de se sentir utile. Et se sentir utile et reconnu dans la société, c’est quelque chose qui nous fait du bien, et des fois c’est un besoin aussi. Donc je comprends ce besoin de beaucoup de personnes – et moi pareil – de se sentir utile. Je pense que c’est aussi une différence de vision politique : est-ce qu’on quitte un taf juste pour, écologiquement, faire des trucs mieux ? Ou est-ce qu’on quitte un taf parce que, politiquement, on est contre l’organisation systémique du travail, est-ce qu’on a une vision plutôt anarchiste ou pas ? Du coup, ça va influer sur notre direction, ce qu’on fait après. C’est vrai que je vois beaucoup, dans le milieu des alternatives, des personnes qui, par conviction écologique, vont vouloir changer de métier, et en fait, par contre, vont reproduire les mêmes codes de nécessaire productivité, d’être utile, productif, d’avoir un statut social, de faire carrière dans quelque chose. Par exemple d’avoir des projets à impact environnemental. Et en même temps, je comprends ce besoin d’être utile, en fait, c’est hyper important. Mais je pense que ce qui est important, c’est de positionner le curseur entre ce qu’il faut que je fasse pour être utile à la société, pour que je me sente bien, quoi. Est-ce qu’il y a besoin d’être utile à la société, en fait, aussi ? Est-ce qu’être utile à la société, c’est pas juste se sentir bien dans sa peau ? Je sais pas, c’est vraiment une question philosophique et de sens de la vie. Moi, au début, j’ai cherché à faire en sorte d’être utile et même productive dans ma désertion. C’est pour ça que je me suis mise à faire plein de reportages vidéos sur les alternatives. Et là, de plus en plus, je suis de moins en moins productive, j’ai de moins en moins d’énergie pour ça. Parce qu’en fait, j’ai tellement déconstruit ce truc de “il faut être productif pour avoir un sens dans son existence”. Maintenant, c’est quelque chose que je boycotte un peu. Mais le truc un peu négatif à ça, c’est vraiment ne plus rien faire.
Pour moi, l’engagement écologique, politique, c’est pas juste changer de métier pour voir un métier plus écolo. Okay, je quitte l’ingénierie pour, je ne sais pas, devenir maraîchère, mais en fait, je vais me tuer à la tâche, je vais reproduire des trucs de productivité même si je suis labellisée Ecocert, je vais pas prendre soin de moi, je vais pas prendre de ma joie, je vais me prendre la tête par rapport à des objectifs, ou par exemple, dans le lieu collectif où je vais vivre, on va s’organiser comme dans une entreprise, avec des statuts bien particuliers, une comptabilité. Et on ne va partager que ça. Et on va reproduire les schémas de propriété privée. Moi, je trouve ça un peu dommage. En tout cas, c’est pas ma vision politique. Mais je pense que de l’autre côté, c’est vraiment un curseur, où est-ce qu’on met le curseur de… aussi prendre soin de soi sur le long terme : des fois, je me dis qu’il y a quand même des trucs, il faut s’organiser un petit peu sur le long terme, pour sa subsistance, du coup ça demande d’être un peu productif aussi… Ouais, c’est une grosse question !
Est-ce que tu arrives à te projeter à moyen terme ? Est-ce que les questions d’argent, tu es sereine avec ça ou est-ce que ça peut t’angoisser ?
J’ai du mal à me projeter sur le long terme. J’ai l’impression que tout m’échappe, un peu comme du sable. Tout me glisse entre les mains, c’est compliqué. J’ai du mal à me projeter sur ce que je vais faire dans des prochaines années, ou de me projeter avec un paysage de ce que j’aimerais. Là, aujourd’hui, ce dont j’ai envie c’est de m’investir dans différents collectifs, plutôt anarchistes et en lutte. Avec l’envie de me mettre à disposition pour que ça puisse se pérenniser autant que possible. Et d’être ni nomade, ni sédentaire, mais plutôt évoluer entre ces endroits-là, et justement, organiser petit à petit une subsistance individuelle et collective. C’est pas tant la question de l’argent mais la question du confort matériel, psychologique qui me préoccupe. Donc j’ai envie assez vie de commencer à réfléchir à comment je peux habiter dans différents lieux, matériellement. Ça me préoccupe quand même beaucoup, comment tout recréer, recréer un équilibre relationnel, affectif, plus ou moins économique. “Économique” je l’entends plus par rapport aux ressources : c’est-à-dire comment avoir les ressources d’être en bonne santé, d’être bien reposée, d’être confort, d’avoir chaud. Et quand tout ça est répondu, de pouvoir être épanouie et s’investir comme j’en ai envie, dans ce que j’ai envie de découvrir. J’ai pas de réponses très claires et précises.
Je te propose de passer à la dernière question, et j’espère que tu l’as préparée : quel message tu aurais envie de faire passer aux personnes qui nous écoutent et qui se posent des questions, qui remettent en question, leur métier, leur boîte, le salariat ?
Le conseil que j’ai envie de donner, c’est… ça a l’air un peu bateau comme ça, c’est de suivre son intuition. Quand j’avais ces petites voix dans ma tête qui me disaient “là, Vivi, c’est du bullshit ce qui se passe autour de toi”, y’avait une autre voix qui essayait de continuer à me conformer. Et je dirais d’écouter cette petite voix qui nous dit que c’est pas normal. Parce qu’en fait, c’est là où on se trouve vraiment. C’est là où notre véritable personne se trouve. Je trouve que c’est dommage de passer à côté de ça. Je conseillerais d’écouter cette petite voix. Et aussi de prendre son temps, pas prendre son temps, genre mettre des années à préparer son départ, mais de s’organiser pour que ce soit pas… la désertion, c’est hyper inconfortable sur plein de niveaux, je pense qu’on a suffisamment évoqué cet inconfort. Du coup, comment se rendre les choses confortables, c’est-à-dire ne pas se griller les ailes trop vite, aussi. À un moment, quand j’ai commencé à m’investir vraiment dans des milieux un peu radicaux, il y avait un peu un truc de sacrifice pour ne pas revenir en arrière. En fait, je pense que ce n’est pas sain. Il faut faire les choses en étant ancré·e : je prends cette décision parce que ça me parle pour cette raison, cette raison, cette raison. Et de bien prendre le temps d’être ancré·e dans sa démarche. Et surtout, pour les personnes qui se sentent seules, il y a plein de personnes qui vous attendent un peu partout en France. Il faut juste aller les chercher. C’est une bonne conclusion ?
Ouais, c’est trop cool ! On s’arrête là ?
Ouais, on s’arrête là, merci !
Merci à toi !