S’organiser à gauche : la mobilisation contre le pass sanitaire à Grenoble

Petit extrait bonus aujourd’hui ! C’est un extrait issu de l’enregistrement que j’ai fait en janvier dernier, avec Kim. Pour rappel, Kim est un militant anarchiste autonome, basé à Grenoble, que vous pouvez aussi écouter dans notre épisode 10 sorti en février.

Tout ça parait déjà lointain, mais en juillet dernier, les contestations ont été nombreuses contre la politique sanitaire du gouvernement français dans le contexte de la pandémie, et en particulier contre le pass sanitaire. Le débat portait pêle-mêle autour du confinement, de la nécessité ou non de porter le masque, de la vaccination, de la vaccination obligatoire, de big pharma, de la levée des brevets, de comparaisons insensées avec la Shoah ou l’apartheid. Le débat public, si tant est qu’il existe concrètement, ne s’embarrassait pas de nuances et était pour le moins confus. De mon côté, j’ai mis du temps avant d’y voir à peu près clair. Et ces questions ont profondément divisé la société, y compris la gauche radicale. Je vous propose d’écouter Kim, qui nous raconte, avec quelques mois de recul, comment les orgas de gauche à Grenoble ont tenté de s’organiser sur le sujet.

Ah, et une dernière chose avant qu’on rejoigne Kim, pensez à vous abonner à rue des bons-enfants sur vos applis de podcast. Ça renforcera vos défenses immunitaires, et même pas besoin de pass vaccinal. C’est parti !

Pour écouter l’épisode hors-ligne, clique ici

La dernière fois qu’on s’est vus, c’était cet été, c’était alors que le mouvement contre le pass sanitaire avait commencé depuis plusieurs semaines. Dans ma ville, après un travail de reconnaissance, on avait identifié que le mouvement était clairement mené par des gens d’extrême droite, que les messages portés étaient au mieux confus, au pire complotistes, et aussi et surtout que les orgas de gauche ont eu du mal à se positionner et encore moins à s’organiser ensemble. Je pense que la question va encore se poser aujourd’hui, avec le fait que le gouvernement continue sur une politique très axée autour du contrôle. J’avais ressenti le besoin d’échanger avec toi pour savoir comment ça se passe à Grenoble. Parce que dans les premières semaines, j’ai eu du mal à me faire une opinion sur le mouvement. Est-ce que tu voudrais bien revenir sur le déroulement des évènements ici ? Ce qui m’intéresse en particulier, c’est la façon dont les orgas de gauche ont réussi ou non à se positionner collectivement.

À Grenoble, ça a été compliqué (rires) ! En gros, ceux qui ont lancé les manifestations contre le pass sanitaire, c’était en grande partie les Gilets jaunes. Chez les Gilets jaunes, il y a des personnes qui sont très chouettes et avec qui on peut travailler sans problème. Par contre, il y a aussi des gens qui sont beaucoup plus confus, voire des gens d’extrême droite. En même temps que les Gilets jaunes, il y avait aussi le parti des Patriotes qui a organisé des manifestations [Les Patriotes est un parti politique d’extrême droite fondé par Florian Philippot suite à son départ du Front national. C’est un parti souverainiste, visant la sortie de l’Union européenne. Concernant la Covid‑19, les Patriotes sont opposés au port du masque et défendent des traitements à base d’azithromicine ou d’hydroxychloroquine, bien que de nombreux travaux de recherche aient montré leur inefficacité]. Et que la partie plus confuse et d’extrême droite des Gilets jaunes a cherché immédiatement à créer des liens entre les deux, en se disant “On milite sur le même sujet, il faut qu’on fusionne les manifestations”. Du coup, ils ont fait en sorte que les cortèges se rencontrent et fassent une manifestation commune plusieurs fois. Du coup, ça crée quelque chose d’un peu inconfortable qu’il y ait l’extrême droite dans une manifestation et qu’on porte les mêmes mots d’ordre. En général, on n’aime pas trop ça, à gauche, manifester aux côtés de l’extrême droite. Les slogans portés par la manif étaient pas très clairs. Par exemple, un slogan qui revenait beaucoup c’était “Liberté ! Liberté ! Liberté !”. Aller crier “Liberté !” avec des fachos notoires qui portent le drapeau de Civitas dans une manif, par exemple, ça nous dit que peut-être on ne donne pas le même sens au mot “liberté” [Civitas est un parti politique d’extrême droite et plus précisément catholique intégriste. Il s’est opposé au mariage pour tous en 2012 et 2013. Parmi les points principaux de son programme, on peut lire « promouvoir une France chrétienne » ou encore « mettre fin à l’immigration de grand remplacement »]. Du coup, ça nous a posé vite beaucoup de questions, à tout le monde dans le milieu militant : est-ce qu’il fallait aller à la manifestation ? Est-ce qu’il ne fallait pas y aller ? Voire est-ce qu’il fallait contre-manifester ? Ce qui s’est fait, c’est que, du coup, l’AFA, l’Action antifasciste de Grenoble, a pas mal permis de lancer des réunions pour discuter de ça. Et globalement, entre l’AFA, le NPA et pas mal d’organisations un peu autonomes, et quelques personnes qui étaient dans des syndicats, mais pas au nom de leurs syndicats, c’était assez clair dès le départ qu’il fallait aller dans ces manifestations pour ne pas laisser la place à l’extrême droite. En même temps, il y avait aussi beaucoup d’autres gens qui sont aussi anarchistes par ailleurs et qui sont des bons camarades, qui pensaient que c’était pas une bonne idée d’y aller parce qu’ils ne voulaient pas manifester avec des fachos. Et globalement, les gros syndicats n’ont pas réussi à se positionner parce que c’était pendant les grandes vacances d’été, et que la façon dont ils fonctionnent, avec la démocratie syndicale, faisait que, normalement, il faut consulter tout le monde avant de prendre une position politique assez grave comme ça “est-ce qu’on va manifester sur ce sujet-là ?” Du coup, par défaut, ils sont plutôt restés à organiser des manifestations de défense des salariés face au pass sanitaire, à l’automne, alors qu’on était en juillet, quoi. Du coup, ils n’ont pas pu se positionner en tant qu’organisation, même s’il y a pas mal de camarades des syndicats qui sont venus à titre individuel. Et du coup, on a participé à ces manifestations-là en faisant un cortège anticapitaliste, faire un bloc, on ne s’est pas répartis dans toute la manifestation. Déjà pour être capable de se protéger si on se faisait emmerder par les fachos, parce que quand on est tous ensemble, on se sent plus en sécurité, quand même. Et en même temps pour pouvoir avoir plus de force quand on crie des slogans, et avoir une visibilité, et ne pas être noyé dans la foule. On est allés manifester avec une banderole “Contre le pass sanitaire et l’extrême droite”. Du coup, assez vite, il y a des manifestants, d’extrême droite, du coup, qui nous ont reproché de diviser la lutte, de ne pas accepter… de ne pas être très inclusif, car on aimait pas trop que l’extrême droite se réapproprie des concepts de liberté et tout ça, alors que c’est des grands libertaires (rires). Du coup, c’était un peu tendu à des moments. Et il y a un moment où il y a eu une bagarre avec des fascistes : il y a un fasciste qui est venu spontanément donner un coup de poing dans la gueule d’un des militants qui portait la banderole. Du coup, les camarades qui étaient autour ont réagi immédiatement, les fachos aussi. Du coup, ça a fait une bagarre qui a été dispersée avec l’intervention de la police. Le problème, c’est que comme les fachos étaient assez bien implantés dans la manif, ils ont réussi à faire croire à beaucoup de manifestants, que comme on s’était repliés, qu’on avait quitté un peu la manif à ce moment-là, sous l’action de la police, qu’en fait, on était un groupe extérieur qui était venu attaquer la manifestation. Du coup, ça a rajouté encore de la tension dans la situation. Les semaines qui ont suivi, forcément, en solidarité, il y a beaucoup plus de camarades qui sont venus à la manif, en se disant que c’était important qu’on fasse nombre pour ne pas se laisser réagresser, quoi.

Ça c’était en juillet ?

Non… (il hésite) plus août, je crois. Mais ils sont venus plus par solidarité que par réelle envie de manifester contre le pass sanitaire dans une manif où il y avait l’extrême droite, quoi. Du coup, ça n’a pas duré très longtemps, cette remobilisation-là, liée à l’extrême droite. Petit à petit, ces personnes-là sont parties. Et puis il y avait aussi des façons de voir les choses assez divergentes entre des autonomes ou le NPA, par exemple, sur la façon de s’organiser en cortège : est-ce qu’il fallait faire un cortège vraiment très fermé ou plus ouvert, etc. ? Est-ce qu’il faut centrer les slogans sur des slogans économiques, sur les licenciements, contre la fermeture des brevets, ou des choses comme ça, ou est-ce qu’il faut ouvrir ça à des choses plus larges, comme le problème que c’est une mesure autoritaire, et que c’est du contrôle social, et que c’est les populations les plus vulnérables qui vont être le plus touchées par ce type de contrôle. Du coup, ça crée un inconfort, en fait, de devoir venir dans un milieu qui au final ne correspondait pas exactement à ce qu’on aimerait porter. Chacun était un peu gêné par le fait qu’il faille composer avec les autres, quoi. Enfin, ça c’est ma lecture, mais j’ai l’impression que ça a créé un inconfort, qui a fait que les gens avaient un peu moins envie de revenir, et du coup, petit à petit, il y avait moins de monde. Après, comme il y avait assez peu de monde, il n’y avait plus vraiment de sens de continuer à faire un cortège comme ça, du coup, ça s’est arrêté. Il y a des gens qui ont continué à y aller individuellement, mais… Ça s’est plus ou moins arrêté comme ça, la mobilisation collective sur ce sujet-là. À ce moment-là, il y avait toujours des fachos, avec des pancartes antisémites, avec le drapeau de Civitas, des vrais fachos, quoi, dans la manif aussi. Du coup, on a abandonné la rue. C’est nul, mais c’est comme ça.


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